J’ai oublié que j’oubliais. Je vis avec ces trous, ces absences, ces fissures béantes. J’ai trouvé refuge en habitant l’interstice du vide, dans ce qui devrait m’être mais qui ne m’est pas, là où je devrais faire corps mais où je me dérobe. Mon abri, mon monde au milieu du monde est un palais de miroirs ; je divague à déraison, croisant toujours le reflet de ce que j’ai été mais que je ne reconnais plus. De brèves réminiscences jonchent le sol mais ne s’effacent jamais, aussi caustiques et récalcitrantes que mon amnésie.
Un instant, au milieu de la brume épaisse et gluante, j’ai oublié que j’avais oublié. La mémoire est-elle cyclique ? Tourne-t-elle comme une planète autour de son orbite, vouée irrémédiablement à rejoindre son point de départ, ou bien est-elle une comète, qui s’évapore dans l’infini de la pensée ? Comment peut-on ne garder aucune bribe ? Ni même un sentiment, une odeur, une couleur, un bruit.
Je me prélasse à déraison dans les récits qui évoquent, suggèrent, laissent entendre. Mon amnésie me donne le pouvoir de rêver, d’imaginer, de réinventer. Oublier, c’est pouvoir changer de chemin, accepter chaque jour que l’on ne sait pas ou bien moins, mais parfois mieux. L’entité de mes creux est un terrain de jeux, où je peux toujours braver l’onirisme selon la trajectoire que prennent les histoires qui évoquent, les histoires à (re)lier.